Cauchemar, rêve et réalité?

Le cauchemar de la pandémie, c’est ce que nous espérons actuellement, appartiendra bientôt au passé. Une fois la majorité de la population vaccinée, le danger d’un collapse de notre système de santé sera écarté – du moins s’il n’y a pas de nouvelle variante plus contagieuse, plus virulente et plus mortelle. (Un regard vers l’Inde et le Brésil n’est pas très rassurant.)

La question qui se pose à nous est alors celle de l’après-cauchemar. Comment allons-nous trouver une nouvelle réalité? Comment sera-t-elle? Qu’aurons-nous appris?

David Graeber, anthropologue décédé en automne 2020 à l’âge de 51 ans, a écrit un essai peu de temps avant sa mort précoce. Le paragraphe suivant est tiré de son essai qui a été publié par le magazine Jacobin (USA):

Parce qu’en réalité, la crise que nous venons de vivre était le réveil d’un rêve, une confrontation avec la réalité effective de la vie humaine, qui est que nous sommes un collectif d’êtres fragiles qui prennent soin les uns des autres, et que ceux qui font la part du lion de ce travail de soin qui nous maintient en vie sont surtaxés, sous-payés et quotidiennement humiliés, et qu’une très grande partie de la population ne fait rien d’autre que d’entretenir des fantasmes, de percevoir des loyers et, d’une manière générale, freine ceux qui fabriquent, réparent, déplacent et transportent des objets ou répondent aux besoins d’autres êtres vivants. Il est impératif de ne pas retomber dans une réalité où tout cela aurait un sens inexplicable, comme c’est souvent le cas des choses insensées dans les rêves.

Tiré et traduit de: David Graeber: After the pandemic, we can’t go back to sleep. (Après la Pandemie, nous ne pourrons pas retourner dormir). Jacobin, USA 3.4.2021 (https://www.jacobinmag.com/2021/03/david-graeber-posthumous-essay-pandemic)

Graeber dit qu’avant la pandémie, nous étions dans une sorte de rêve qui ne correspond ni ne rend justice à la réalité de notre humanité (et de notre environnement). Il suggère qu’après la pandémie, nous devrions nous concentrer sur la réalité de notre humanité et l’interdépendance qu’elle implique. Il s’agirait alors de respecter le travail de soins qui est déjà fait et réellement nécessaire, indispensable et bénéfique au bien commun. Aussi faudrait-il le rémunérer en conséquence.

La profondeur et la portée de cette approche font apparaitre les discussions sur le masque et le confinement comme du badinage. Nous, Européens de l’Ouest, avions pris l’habitude de nous croire invulnérables et en sécurité – en plus de nous croire le nombril du monde. Aujourd’hui, nous prenons conscience de cette illusion et nous sommes profondément insécurisés. Un nouvel éveil authentique pourrait bien en résulter, une attention à ce qui compte vraiment. Et aux actes qui s’en suivent.

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