Vengeance, haine, amour

Par Alain Schwaar*

  “N’ayez aucune pensée de haine contre un frère…ne vous vengez pas…chacun de vous doit aimer son prochain comme lui-même“ (extrait de Lévitique 19, 17-18) 

Autre manière de dire : “aime ton prochain, il est comme toi, un humain parmi d’autres“ (Martin Buber)

C’est clair, mais pas si simple.

C’est une décision à prendre. 

Si Nelson Mandela n’avait pas cru qu’en écrivant depuis sa prison, et sans consulter son parti, il serait possible d’entamer un changement, il n’aurait pas mis la fin à l’apartheid. Il a pourtant pris cette décision.

Un autre exemple : en Irlande, si une des parties n’avait pas pris la décision d’un cessez-le-feu unilatéral, le processus de paix n’aurait pas pu commencer.

Tous ces changements, proviennent d’initiatives où une partie a décidé que la situation était sans issue, et que « faire plus de la même chose » plus de guerre, avec plus d’armes, ne mènerait à rien. Et le plus souvent c’est une personne qui a fait le premier pas.

Les travaux de la philosophe Cynthia Fleury aboutissent à la même conclusion. Du ressentiment on ne peut sortir que par une décision. Prise avec la volonté de sortir d’une situation sans issue. 

L’autre ne changera pas, et je ne peux attendre de lui qu’il fasse quoi que ce soit si je ne lui propose pas un changement, si je ne prends pas l’initiative de lui proposer moi-même de changer ma manière de voir les choses.

Desmond Tutu écrit aussi dans son « livre du pardon » que le seul moyen d’échapper au cycle de la vengeance est de prendre la décision de pardonner.

Alors quand il y a une impasse, quelqu’un doit prendre une initiative, risquée sans aucun doute. 

Mais s’il y a une impasse, et qu’y a-t-il de pire qu’une impasse ?

Qui prendra le risque d’une initiative dans les conflits qui sont dans l’impasse actuellement ? Je pense à l’Ukraine, au conflit Israël Palestine, au Soudan, au Sahel, et combien d’autres situations encore ?

*Alain Schwaar est juriste retraité et a été directeur-adjoint à l’Office Cantonal des Mineurs à La Chaux-de-Fonds. Formé à la thérapie sociale, il a travaillé dans plusieurs pays de l’Afrique ainsi qu’en Haïti. De nombreuses années au comité Eirene, dont il était aussi le président, il a aussi été diacre dans la paroisse La Chaux-de-Fonds.

Consultation européenne sur la « paix juste ».

Neal Blough a participé pour le réseau européen Eglise et Paix à cette consultation organisée par la Conférence des Eglises europénnes (CEC) à Varsovie. Neal Blough est professeur d’histoire émérite, historien de la théologie anabaptiste et membre de la commission de paix de la Conférence mennonite mondiale. Le Forum anabaptiste a encouragé et soutenu la participation de Neal à cette consultation importante. Voici son rapport:

J’ai eu le privilège de participer à la Consultation européenne sur la paix juste organisée par la Conférence des Eglises Européennes (CEC). Elle a eu lieu du 9 au 11 décembre (2024) à Varsovie. A peu près 80 personnes y ont participé, représentant des Eglises européennes y compris celles de l’Ukraine. Le but de la rencontre était d’explorer les éléments théologique, éthique et pratique du concept et de la réalité de « la paix juste » dans le contexte de l’agression militaire russe en territoire ukrainien. J’ai pu assister à cette consultation comme représentant de Church and Peace, dont je suis membre. J’ai également été sollicité pour apporter une brève réflexion sur la paix juste dans la Bible.
Dans les milieux œcuménique et catholique romain, le concept de paix juste est en voie d’élaboration depuis plusieurs décennies déjà. La notion est élaborée pour remplacer celle de la « guerre juste », qui aux yeux de beaucoup ne semble plus opérationnelle. Deux interventions sur ce concept ont été données, celle de Fernando Enns—professeur à Hambourg et à Amsterdam—sur le développement de la réflexion et la pratique au sein du Conseil Œcuménique des Eglises, et celle, plus large, de Christina Schliesser—professeur à l’Université de Fribourg—qui collabore également avec le programme du Bienenberg « Konflikt-Transformation und Friedenskultur ».

La voix des Eglises ukrainiennes
La partie centrale de la consultation consistait à écouter les voix ukrainiennes qui représentaient la diversité chrétienne du pays : l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, l’Union baptiste, l’Eglise réformée de Transcarpathie en Ukraine, les Eglises catholiques romaine et grecque, la Société Biblique d’Ukraine, l’Eglise luthérienne d’Ukraine, et l’Institut de liberté religieuse.
L’un des sujets délicats concerne les relations entre l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, reconnue par le patriarcat de Constantinople et l’Église orthodoxe ukrainienne (patriarcat de Moscou). De nombreuses tensions existent entre les deux. Elles ont été abordées dans la présentation du primat de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, qui évoquait en même temps les efforts entrepris en vue de la réconciliation. La plupart des ukrainiens souhaiteraient une Eglise orthodoxe unie.
A mon avis, la question centrale et difficile posée par les ukrainiens était celle de savoir « que signifie la notion de paix juste dans la situation actuelle ? ». Si le concept existe pour encourager les Eglises vers la non-violence, les ukrainiens ont relevé l’importance du mot « juste » et donc de l’injustice que leur pays subit. Les Eglises évangéliques ukrainiennes (baptiste, pentecôtiste, mennonite) partageaient historiquement une position pacifiste, actuellement considérée comme non-viable, même si des objecteurs de conscience existent au sein de ces dénominations, cependant sans statut juridique.
Les Eglises ukrainiennes nous appellent à la prière constante, mais aussi à encourager les Etats européens à soutenir militairement le pays dans son effort de défense. Je cite le pasteur Ihor Bandura de l’Union baptiste, qui me semble bien représenter ce que nous avons entendu.

L’autodéfense est devenue une réalité du jour au lendemain pour de nombreuses églises et de nombreux pasteurs. L’Église doit poursuivre son engagement en faveur de la réconciliation et de la construction de la paix, même en période de résistance. Elle doit cultiver la possibilité d’une paix pour demain. Elle doit accompagner et soigner les personnes blessées et traumatisées par la guerre, et protéger les personnes déplacées et les plus vulnérables. L’engagement en faveur de la non-violence doit être équilibré par le devoir de protéger les plus vulnérables et de lutter contre l’injustice.

L’avis des ukrainiens consistent à affirmer que dans la situation actuelle, le droit de se défendre est un impératif moral, la non-violence doit être équilibrée à partir du « R2P », la responsabilité de protéger les innocents. Le Dr. Roman Fihas, directeur de l’Institut d’Etudes Œcuméniques de l’Université catholique de Lviv, décrivait sa conception de la paix juste avec plusieurs éléments :

  • Défendre le l’Evangile, ce qui implique la nécessité de déconstruire l’idéologie de l’Eglise orthodoxe russe, le Russki Mir. Cette « théologie » lie la guerre étroitement à la politique de Poutine, la conçoit comme la défense du vrai christianisme, représenté par le peuple russe, et décrit les soldats morts au combat comme des martyrs. Dans cette perspective, l’Occident est considéré comme une menace existentielle au christianisme « véritable ».
  • La justice est nécessaire, c’est-à-dire, ne pas céder du territoire aux russes, ne pas donner raison à l’agresseur
  • La liberté de développer un Etat démocratique
  • La solidarité européenne et internationale en faveur de l’Ukraine

D’autres aspects ont aussi été abordés et discutés :

  • Des protections juridiques pour les objecteurs de conscience,
  • Un plaidoyer pour un cessez-le-feu de Noël et des échanges complets de prisonniers ont été proposés. (Envoyé par la CEC et non écouté ou respecté)
  • Le soutien aux aumôniers de l’armée par le biais de conseils pastoraux et du dialogue
  • La demande de davantage d’investissement dans la réconciliation, notamment en finançant des programmes de formation à la paix en Ukraine.
  • Maintenir des liens avec les dissidents russes en vue de les soutenir et de les encourager

Conclusions

A la fin de la consultation, les conclusions du comité d’écoute ont été livrées par le président de la CEC, l’archevêque Nikitas de Thyateira et de Grande-Bretagne. Voici quelques extraits :

En tant que chrétiens, nous sommes appelés à dire la vérité, à déconstruire les récits violents et à nous ranger du côté de la justice. Cette consultation nous rappelle notre responsabilité commune de défendre la dignité humaine et la solidarité, et de promouvoir la paix pour tous.

La victoire de la vérité implique de protéger la vie, de restaurer la justice et de construire la solidarité. La CEC reste déterminée à soutenir les Eglises ukrainiennes et à promouvoir une vision de paix juste et durable.

Le participant mennonite, membre d’une « Eglise historiquement pacifiste » et de « Church and Peace », que peut-il dire de cette consultation ?

D’abord, le fait que la consultation a eu lieu et que les instances ecclésiales européennes travaillent dans le même sens me semble fondamental. La question de la paix et de la non-violence ne peut pas être considérée seulement comme une particularité mennonite, quaker ou autre. Sans une approche œcuménique sérieuse, les chrétiens ne pèseront pas grand-chose dans ces questions. Le simple fait que ces Eglises, avec leurs traditions et points de vue différents sur la question de la guerre, se rencontrent et abordent sérieusement dans le respect mutuel est très important, quelque chose que je vois comme un signe d’espérance. Lors de son intervention, Peter Prove, représentant le Conseil Œcuménique des Eglises a dit la chose suivante :

Le Conseil œcuménique des Églises existe non pas parce que nous sommes d’accord, mais précisément parce que nous sommes en désaccord, parfois sur des questions très fondamentales et c’est pourquoi nous devons être ensemble, et faire ce chemin difficile ensemble, en tant que témoin d’un monde de plus en plus divisé et polarisé.

La réapparition de nationalismes chrétiens en Russie ou aux USA doit être combattue par la famille mondiale des Eglises. Il n’y a pas que le Russki Mir qui doit être déconstruit (cf. la résurgence du nationalisme chrétien aux USA).

En ce qui concerne la non-violence, personne en dehors de l’Ukraine ne se sentait pas le droit de dire aux ukrainiens qu’ils n’ont pas le droit de se défendre. Cela renforce en moi la pensée que la non-violence et la paix s’inscrivent dans la durée. Lorsque la guerre éclate, il est souvent trop tard, et contre un ennemi aussi brutal que Poutine, une non-violence absolue signifie tout simplement la capitulation et des répercussions européennes et internationales graves.

La paix et l’action non-violente se préparent et se vit dans le temps, surtout avant et après les conflits armés. En temps de guerre aussi, autant que possible, mais la guerre est déjà un échec qui rend souvent la mise en place de moyens non-violents difficile ou impossible (point de vue des Eglises en Ukraine). Dans le temps, en collaboration avec la société civile et les gouvernements, les Eglises doivent travailler sérieusement pour la mise en place de moyens de résolution de conflit autres que militaires ou violents. Les Etats de droit, la démocratie sont fragiles et menacés dans le contexte actuel, les Nations Unies ne semble avoir que très peu de poids. Les structures fondées après la deuxième guerre mondiale (UE, ONU) pour réduire la violence doivent retrouver leur place, ce que l’administration Trump va sérieusement compliquer. Les Eglises pourraient avoir un rôle fondamental dans leurs contextes divers si elles restaient dans l’optique de l’Evangile de paix. D’où l’importance d’un travail œcuménique sur la paix, et la paix juste.

Je remercie Church and Peace pour le privilège d’avoir assisté à cette consultation en son nom et la CEC pour l’accueil véritable fraternel et pour la qualité let la transparence des échanges. Je remercie également le Forum Anabaptiste suisse qui a contribué financièrement à ma participation à cette consultation.

Le monde de l’ombre : les coulisses du commerce mondial des armes

Actuellement, les cris de guerre se multiplient dans le monde entier. Mais sans la colossale machine mondiale de l’armement, ni les guerres actuelles ni celles à venir ne seraient possibles. Dans les médias, on parle généralement de conflit, alors qu’il faudrait plutôt parler de « conflit armé » ou de guerre. Mais on préfère ne pas le faire…. Cependant, ne pas vouloir regarder et ne pas appeler un chat un chat n’aide pas, bien au contraire.

Bien sûr, les guerres sont déclenchées par des hommes, par des dirigeants. Elles ne se déclenchent pas comme un orage. Bien sûr, il y a des intérêts politiques, économiques, nationaux (ou nationalistiques) ou tout simplement des jeux de pouvoir personnels en jeu. Ce qui n’est pas suffisamment pris en compte, c’est ce que le chercheur de longue date Andrew Feinstein appelle « Le monde de l’ombre : les coulisses du commerce mondial des armes ». La machine militaire américaine est ainsi devenue depuis longtemps une puissance relativement autonome, face à laquelle même Barack Obama n’a pas pu prendre le dessus.

Sur la base du livre « The Shadow World », un film est désormais disponible, qui a été qualifié de meilleur documentaire. Il donne un aperçu d’un monde sous-exposé qui préfère rester invisible parce que la lumière le limiterait. Il est important que nous, citoyennes et citoyens ordinaires, n’ignorions pas ce qui se passe, car ne pas le savoir augmente les risques.

Le film, disponible sur YouTube, dure plus d’une heure et demie et est aussi captivant qu’un roman policier et aussi inquiétant qu’un thriller. La langue des sous-titres peut être sélectionnée dans les paramètres (la roue dentée sur la barre en bas à gauche).

Voici le lien sur le film

Le mouvement anabaptiste a 500 ans

En cette année 2025, l’anabaptisme se souvient de ses 500 ans d’existence. Le programme est aussi varié et riche que l’anabaptisme. Les contradictions sont autorisées car inévitables ;-). On oublie facilement que l’anabaptisme a été divers dès le début – polygénèse est le terme technique pour un mouvement qui était différent géographiquement, temporellement et en termes de contenu. Un coup d’œil de près laisse supposer qu’il l’est toujours. Comme une prairie sur un sol inégal n’est pas partout de même nature. Il y pousse toutes sortes de choses, elles ne poussent pas partout de la même manière et elles ont des odeurs et des aspects différents, plus ou moins agréables.

Aujourd’hui, 500 ans après ses débuts à Zurich mais aussi aux Pays-Bas, ce qui est rapidement devenu une épine dans le pied et dans la chair des premiers réformateurs et de leurs autorités ne se trouve plus principalement en Europe centrale, ni même en Amérique du Nord, où il a pris de l’ampleur au XIXe et au début du XXe siècle, mais dans l’hémisphère sud, où il doit faire face à toutes sortes de contrariétés.

Les anabaptistes du 16ème siècle étaient certes issus de la Réforme, mais n’étaient à proprement parler ni protestants ni catholiques (aujourd’hui, certains d’entre nous aiment dire : à la fois l’un et l’autre). Environ 400 ans après les Vaudois dans le sud de la France, les anabaptistes – qui étaient appelés anabaptistes au début, mais qui ne pratiquent en général pas le rebaptême aujourd’hui – ont osé sortir de l’Église du pouvoir. Leur problème avec l’Église n’étaient pas seulement les indulgences et la messe ou les images, mais aussi, sinon surtout, le pouvoir/la puissance du couple église-état et la violence qui s’en suit. Leur principal argument était la liberté de religion et de conscience, ce qui entraîne d’une part la séparation de l’Église et de l’État et pose en même temps la question des moyens : Par la force ou sans violence ? Pour les anabaptistes zurichois, une chose fut rapidement claire : sans violence, car la violence est en contradiction avec les exigences qu’ils posent dans la lumière de l’Evangile. Ils savaient ce que le psychiatre autrichien Friedrich Hacker a constaté au début du 20e siècle : La violence est le problème dont elle prétend être la solution. Pour certains, les anabaptistes étaient des ennemis de l’état. Pour les autorités du Moyen Âge c’était une évidence et ils n’avaient pas tord d’en avoir peur, car le mouvement avait pris des dimensions qui menaçaient l’ordre établi. Cela dit, tous les mouvements non-violents de tous les temps ont connu la persécution. Est-ce que la nonviolence menacerait-elle les pouvoirs en place?

Nous voilà donc déjà au cœur d’un des nombreux thèmes à discuter. Dans les mois à venir, à l’occasion des 500 ans de l’anabaptisme, nous publierons sur ce site quelques questions controversées et, nous l’espérons, quelques perles et casse-têtes.

Les idées, propositions, contributions et autres articles sont bienvenus!

Le silence des bons

Dietrich Bonhoeffer, dont on parle ces jours-ci sur les réseaux sociaux et au cinéma (« Bonhoeffer » aux USA et dès le 22 janvier en France), est surtout connu pour ses écrits depuis la prison. Lui qui ne s’est pas accordé au régime de Hitler dès ses débuts, et qui est rentré au pays malgré le danger, a été exécuté sur ordre personnel du Führer en avril 1945, peu avant que ce régime meurtrier ne s’effondre. Ses contacts avec un cercle qui avait projeté l’assassinat de Hitler ont donné au tyran une raison tangible de le tuer. Les biographes de Bonhoeffer sont formels: Dietrich Bonhoeffer avait eu un discours pacifiste et n’était pas un tueur de tyran.

Or ce que la droite évangélique-fondamentaliste aux USA cherche à faire croire, c’est que Bonhoeffer a bel et bien eu l’intention de tuer: l’affiche du film qui sortira ce 22 novembre dans les salles montre Bonhoeffer avec un pistolet dans la main. Le régisseur du film dit que cela n’était pas sa décision, mais le message est clair: Combattre par la violence les « démocrates nazi » qui menacent la grandeur de la nation est une vocation biblique, selon certains prédicateurs et autres acteurs de l’extrême-droite aux USA. (Courrier International, 21.11.24, voici la bande-annonce officielle du film « Bonhoeffer ».

Pour d’autres intéressés, Dietrich Bonhoeffer n’est pas le modèle dont beaucoup d’entre nous, des plus progressistes aux plus conservateurs, ont admiré le courage, la vision claire et la parole percutante. Il serait devenu, au cours de sa vie, un libéral de moins en moins fidèle au message évangélique. Il lui est reproché de ne plus être un chrétien évangélique, et surtout, d’être devenu universaliste, ce qui dans les yeux de l’auteur de l’article en question, lui ôte sa crédibilité. (l’article en anglais est disponible ici)

Ce qui se passe ces jours-ci autour de Bonhoeffer est symptomatique pour le temps que nous vivons actuellement: D’un coté, Bonhoeffer est récupéré par l’extrême-droite chrétienne, et de l’autre coté, on nous dit qu’il n’est peut-être pas digne d’être un modèle pour nous dans des temps troublés par le mensonge et la violence. Qui croire? Que faire?

Du coup, on est tenté de se méfier et de ne rien dire. Mais l’indifférence et la lâcheté sont les ennemis de la vérité de la justice et de la paix. Dietrich Bonhoeffer savait de quoi il parlait.

Il a longuement réfléchi au rôle de l’action et de la résistance dans un contexte d’oppression. Dans son ouvrage Éthique et dans ses lettres depuis la prison, il critique l’inaction des chrétiens et des gens moralement responsables face au mal. Dans une lettre de 1944, il écrit :

« Nous avons été des témoins silencieux des actions mauvaises ; nous avons appris l’art de la dissimulation et de la parole équivoque ; l’expérience nous a rendus méfiants envers les hommes et nous avons souvent gardé le silence face à la vérité et tout cela nous fait honte. »

Et Bonhoeffer dénonce le silence des chrétiens. Il écrit :

En fuyant la confrontation publique, un tel individu (qui garde le silence face au mal qui se déroule) trouve refuge dans une vertu privée. Il ne vole pas, il ne tue pas, il ne brise pas de mariage, il fait le bien dans la mesure de ses capacités. Mais en renonçant volontairement à la vie publique, il sait exactement respecter les limites permises qui le protègent du conflit. Ainsi, il doit fermer les yeux et les oreilles face à l’injustice qui l’entoure. Ce n’est qu’au prix d’une illusion personnelle qu’il peut préserver sa probité privée, en la gardant intacte face aux souillures qu’entraînerait une prise de responsabilité dans le monde. Pourtant, quoi qu’il fasse, ce qu’il s’abstient de faire ne cessera de le troubler. – Qui pourra persévérer?

Ailleurs, Bonhoeffer décrit la vie humaine comme étant « un espace de résonance, qui exige que l’on prenne des décisions de vie, aussi dans les défis politiques de nos jours. La vérité doit être faite!«