Les frères siamois

Par Uri Avnery

Après avoir commenté la plupart des épisodes de la série télévisée ‟Les Capitaines” de Raviv Drucker sur les Premiers ministres des débuts, il me faut revenir sur l’épisode dont je n’ai pas encore parlé : Yitzhak Rabin.

Permettez-moi de le dire d’entrée : j’aimais bien l’homme.

Il était un homme selon mon cœur : honnête, cohérent, franc, direct.

Pas d’inepties, pas de bavardages. Vous entriez dans la pièce, il vous versait un whisky sec (il semblait détester l’eau), vous faisait asseoir, et posait une question qui vous obligeait à aller droit au but.

Comme c’est rafraîchissant comparé à d’autres politiciens. Mais Rabin n’était pas vraiment un politique. C’était un militaire dans l’âme. Il fut aussi l’homme qui aurait pu changer l’histoire d’Israël.

Le fait marquant de sa vie fût, à l’âge de 70 ans, d’avoir complètement changé sa façon de voir.

Il n’est pas né homme de paix. Loin de là.

C’était un sioniste aussi orthodoxe que possible. Il combattit dans les guerres d’Israël, justifiées ou pas, sans poser de questions. Certaines de ses actions furent brutales, certaines très brutales. Pendant la première intifada dans la bande de Gaza, il a dit ‟brisez-leur les os” et des soldats le prirent à la lettre.

Alors, comment cet homme en vint-il à reconnaître le peuple palestinien (dont l’identité même était déniée), à négocier avec la direction ‟terroriste” palestinienne et à signer l’accord d’Oslo ?

J’ai la chance d’être, peut-être, la seule personne au monde à avoir entendu de la bouche des deux principaux protagonistes du drame d’Oslo comment ils en étaient arrivés à ce tournant dans leur vie – et dans la vie de leurs deux nations. Ils me l’ont dit eux-mêmes (en des occasions différentes bien sûr).

Le récit de Rabin était à peu près celui-ci : après la guerre de 1967, je croyais à l’option jordanienne, ainsi que la plupart d’entre nous. Comme personne ne croyait à l’époque qu’on nous laisserait garder les territoires occupés, nous voulions les rendre au roi Hussein, à condition qu’il nous laisse garder Jérusalem Est.

Un jour, le roi annonça qu’il se lavait les mains de la Cisjordanie. Alors l’option est morte. L’un de nos experts défendit l’idée de mettre en place des ‟Organisations de villages” en Cisjordanie pour négocier avec elles. Ces organisations disparurent très vite.

En 1993, une conférence de paix israélo-arabe se réunit à Madrid. Comme Israël ne reconnaissait pas les Palestiniens, les représentants palestiniens des territoires occupés furent inclus dans la délégation jordanienne. Mais quand on en vint à discuter de la question palestinienne, les Jordaniens se levèrent et quittèrent la pièce, laissant les Israéliens face aux Palestiniens.

Tous les soirs les Palestiniens disaient aux Israéliens : maintenant nous devons appeler Tunis pour avoir des instructions de Yasser Arafat. C’était ridicule. C’est pourquoi, lorsque je suis redevenu Premier ministre, j’ai décidé qu’il était préférable de parler avec Arafat lui-même.

(Le récit d’Arafat était semblable : nous nous sommes engagés dans la lutte armée. Elle n’a pas permis de vaincre Israël. Puis nous avons amené les armées arabes à attaquer. Au début de la Guerre d’Octobre, les Arabes ont de fait remporté une brillante victoire, mais ils ont néanmoins perdu la guerre. J’ai réalisé que nous nous ne pourrions pas battre Israël, et donc décidé de faire la paix avec Israël.)

Dans son chapitre sur Rabin, Drucker donne une image qui – je crois – n’est pas exacte.

Selon lui, Rabin était une personne faible qui a presque dû se faire traîner à Oslo par Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères. Comme témoin oculaire, je dois témoigner que cela est totalement faux.

J’ai rencontré Rabin pour la première fois à la piscine. Je bavardais avec Ezer Weismann, le commandant de l’armée de l’air, qui avait irrité Ben-Gourion par ses blagues grossières. Rabin arriva, comme nous en tenue de bain. Il m’ignora et s’adressa directement à Ezer : ‟N’avez-vous pas déjà assez d’ennuis sans parler en public avec Uri Avnery ?”

La fois suivante je l’ai rencontré en 1969, quand il était ambassadeur à Washington. Nous eûmes une longue conversation, au cours de laquelle j’ai défendu l’idée que la seule façon de préserver l’avenir d’Israël était de faire la paix avec le peuple palestinien sous l’autorité d’Arafat. Rabin fut totalement opposé à cette idée.

Après quoi, nous nous sommes souvent rencontrés. Une de mes amies, la sculptrice Ilana Goor, était obsédée par l’idée de nous amener à parler ensemble. Elle organisait donc de fréquentes soirées à son atelier de Jaffa, dont le réel objectif était de nous mettre en contact. Nous nous retrouvions généralement au bar, et quand tous les autres étaient partis, nous nous asseyions pour parler, souvent avec Ariel Sharon. De quoi ? De la question palestinienne évidemment.

Lorsque j’ai commencé mes entretiens secrets avec les délégués d’Arafat, d’abord avec Said Hamami et plus tard avec Issam Sartaoui, j’allai voir Rabin au bureau du Premier ministre pour lui en parler. La réponse de Rabin était typique : ‟Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je n’interdis pas vos rencontres. Et si vous entendez quelque chose dont vous pensez que le Premier ministre d’Israël doive être informé, ma porte est ouverte.”

Ensuite je lui apportai plusieurs messages d’Arafat, qu’il ignora en totalité. Ils concernaient des affaires mineures, mais Rabin disait : ‟Si nous nous engageons dans cette voie, cela conduira inévitablement à un État palestinien, et je n’en veux pas.”

Arafat voulait évidemment entrer en relation avec Rabin. Je pense que c’était la raison principale pour laquelle il m’avait reçu la première fois dans Beyrouth Ouest assiégée. (Je fus le premier Israélien qu’il ait rencontré.)

J’aimerais pouvoir dire qu’honnêtement je crois avoir été celui qui persuada Rabin de changer complètement de point de vue et de passer un accord avec les Palestiniens, mais je ne le crois pas. Rabin a été convaincu par Rabin, par sa propre logique.

L’erreur historique de Rabin fût, après le succès de la percée d’Oslo, de ne pas s’être précipité pour faire la paix. Il était trop lent et prudent. Je l’ai souvent comparé à un général qui a réalisé une percée dans les lignes ennemies et qui, au lieu de lancer toutes ses forces dans la brèche, hésite et s’arrête. Cela lui a coûté la vie.

C’était une faute récurrente. À la veille de la Guerre des Six Jours, alors qu’il était chef d’état-major, l’attente prolongée – ou son tabagisme compulsif – lui causa un moment de dépression. Il fût immobilisé pendant 24 heures, au plus fort de la tension, et pendant ce temps son adjoint, Ezer Weismann, prit le commandement.

Cela n’empêcha pas Rabin de remporter une victoire historique dans la guerre, sous le commandement du meilleur état-major qu’ait jamais eu l’armée. Il avait été patiemment réuni par Rabin en cas de besoin.

Des années plus tard, quand Rabin fût choisi comme Premier ministre, Ezer avertit publiquement les gens que Rabin n’était pas à la hauteur de la situation. Dans une scène mémorable, Ariel Sharon s’enferma dans une cabine téléphonique publique avec une pile de jetons devant lui pour téléphoner à chaque rédacteur en chef du pays pour l’assurer que Rabin était à la hauteur de la fonction.

Je pense qu’à sa manière laborieuse, Rabin aurait fini par faire la paix avec le peuple palestinien et aurait aidé à créer un État palestinien. Son antipathie initiale pour Arafat avait cédé la place à un respect mutuel. Arafat lui rendit secrètement visite chez lui.

Le principal sujet du film de Drucker était l’inimitié proverbiale entre Rabin et Peres. Ils se détestaient l’un l’autre, mais ne pouvaient pas se débarrasser l’un de l’autre. Je les ai comparés à des frères siamois qui se haïssaient l’un l’autre.

Cela commença dès l’origine. Rabin abandonna ses études supérieures (en agriculture) pour rejoindre le Palmach, les équipes de terrain de notre armée clandestine. Lorsqu’éclata la guerre de 1948, il assura un commandement sur le terrain.

Peres ne rejoignit pas l’armée du tout. Ben-Gourion l’envoya à l’étranger acheter des armes. C’était certainement une tâche importante, mais elle aurait pu être assurée par quelqu’un de 60 ans. Peres avait 24 ans – deux semaines de plus que moi !

Depuis lors, toute ma génération l’a détesté. Cette honte ne le quitta jamais. Ce fût l’une des raisons pour lesquelles Peres ne remporta jamais une élection de sa vie. Mais c’était un génie de l’intrigue. Rabin, qui avait la langue acérée, le qualifia d’‟infatigable intrigant”.

À la fin, la formidable pomme de discorde fût l’initiative d’Oslo. Peres, en tant que ministre des Affaires étrangères en revendiqua le crédit.

Un jour j’ai eu une expérience curieuse. J’ai reçu un appel me disant que Peres voulait me voir. Etant donné que nous étions des ennemis jurés, c’était étrange. À mon arrivée, Peres me fit une conférence soutenue d’une heure sur les raisons pour lesquelles il était important de faire la paix avec les Palestiniens. Comme c’était l’objet essentiel de ma vie depuis des décennies, alors qu’il s’y était toujours opposé de façon catégorique, c’était plutôt surréaliste. J’ai écouté en me demandant ce que tout cela signifiait.

Peu de temps après, lorsque les accords d’Oslo sont devenus publics, j’ai compris la scène : elle faisait partie de l’action de Peres pour en revendiquer le crédit.

Mais ce fût Rabin, Premier ministre, qui prit la décision et en assuma la responsabilité. C’est à cause de cela qu’il fût assassiné.

La scène finale : l’assassin se tenait au pied des marches, le pistolet à la main, attendant que Rabin descende. Mais c’est Peres qui descendit le premier.

Le meurtrier le laissa passer sain et sauf – l’injure suprême.

Uri Avnery

Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 16 juin 2018 – Traduit de l’anglais « The Siamese Twins » pour Conflue. Merci à iremmo.org pour son amicale permission.

Justice, paix, création : un tout

Dans les années 80, pour certains d’entre nous, sexagénaires et septuagénaires, les thèmes de la justice, de la paix et de la préservation de la création (GFS) étaient devenus importants. Aujourd’hui, alors que nous parlons de multitudes de crises, il devient évident que le titre d’un mouvement assez fort à l’époque, qui n’était pas largement soutenu par une majorité, témoignait d’une grande vision : il est clair pour nous tous, avec une grande urgence, que ces trois choses sont étroitement liées. L’injustice et le conflit, en particulier la violence, menacent la création et l’espace vital de nous tous, non pas dans un avenir lointain, mais de manière immédiate et directe pour un nombre croissant de personnes.

Il est clairement effrayant de voir comment la cupidité économique et l’échec politique, ainsi que la violence structurelle et physique qui en découle, engendrent et laissent derrière eux la destruction de la nature et du tissu social. La pauvreté et la guerre ne sont pas des fatalités. Ce ne sont pas des catastrophes naturelles. Elles découlent de la cupidité et de la violence, d’une détermination impitoyable au pouvoir absolu, que les êtres humains s’approprient et revendiquent pour eux-mêmes. Aujourd’hui, nous voyons plus clairement qu’à l’époque des années 80 comment la prédominance et les privilèges ont érigé des systèmes entiers pour se maintenir eux-mêmes. Bien que Hannah Arendt ait déjà dit dans les années 50 : « La loi suprême d’un État est sa propre sécurité » (dans la vérité et la politique). Autrement dit, lorsque cela compte, les vies humaines ont moins d’importance que les institutions érigées par et pour elles. Madleine Albright, secrétaire d’État des États-Unis, a déclaré en décembre 1996 que l’attaque guerrière des États-Unis contre l’Irak valait la mort de 500 000 enfants. Les conséquences désastreuses de cette guerre, alors justifiée par des mensonges, continuent à ravager le monde. C’est la logique des guerres de tous les temps. Ce n’est qu’après coup que « nous » semblons revenir à la raison de l’humanité, oubliée ou réprimée avant et pendant la guerre. La Première Guerre mondiale n’a été qualifiée de massacre insensé qu’après la Seconde Guerre mondiale.

Pourtant, il y a de l’espoir et des solutions : partout dans le monde, trop souvent ignorées par les médias et certainement pas présentées dans les nouvelles, des voix se font entendre, des personnes devenues courageuses grâce à l’expérience de l’injustice et de la violence entreprennent ensemble des expériences et conçoivent des projets qui favorisent l’humanité, la solidarité, la liberté, la dignité et l’environnement. Souvent, de tels pas sont entrepris à contre-courant, contre les préjugés, l’hostilité, le mépris et les attaques verbales et physiques. C’est le sort d’innombrables résistances partout où les gens ne peuvent plus tolérer ce qu’ils ont enduré depuis trop longtemps. Les gens disent souvent : oui, pour nous qui vivons dans une démocratie, c’est facile. Cependant, la recherche montre que la résistance dans les pays non démocratiques n’est pas moindre. Les gens – pas tous – partout ont toujours été prêts à défendre leurs droits et ceux des autres, même si cela coûte cher.

À l’occasion de la Journée de l’Europe du 9 mai, un événement a été organisé par le Club 44 à La Chaux-de-Fonds avec Fatima Ouassak, politologue et militante d’un quartier populaire près de Paris. Le titre était le même que le deuxième livre de Fatima « Pour une écologie pirate – et nous serons libres » (La Découverte, 2023). Pour Fatima Ouassak, née au Maroc et ayant elle-même vécu en France ce que cela signifie « ne pas être à sa place » du point de vue populiste, il est clair : un engagement pour l’environnement n’a de sens et ne peut être efficace que s’il prend en compte la question de l’inclusion et de la liberté de mouvement pour tous. Les habitants du Sud global ne voient pas d’un bon œil un engagement purement écologique provenant du Nord-Ouest, car la prospérité ici a été réalisée en grande partie aux dépens des habitants du Sud (colonialisme), et elle est largement maintenue à leurs dépens – si nécessaire par la force. De nombreuses personnes (mais pas toutes) dans le Nord sont certes privilégiées, mais elles ne sont pas vraiment libres. Les personnes d’origine africaine et/ou musulmane ne sont pas non plus libres, dit Fatima, leurs corps sont utiles pour le travail et la consommation. Mais ils sont nettement moins privilégiés.

La liberté, la participation et la préoccupation pour l’environnement sont des préoccupations qui vont de pair et aucune d’entre elles ne doit se faire au détriment de l’autre. Fatima est convaincue que les habitants des quartiers pauvres en Europe et les habitants des pays du Sud ou d’Afrique ont tout à fait la possibilité de faire bouger les choses s’ils prennent ces liens au sérieux. Cela ne sera pas plus facile face à l’augmentation de l’extrémisme de droite en Europe, mais cela reste possible. L’extrémisme de droite, qui sévit non seulement en France mais se répand lentement dans toute l’Europe, vise explicitement à protéger ce qu’on appelle la tradition judéo-chrétienne, même ici, si nécessaire par la violence. Un autre Français d’origine africaine, Georges Haddad, contrairement à Fatima, qui a grandi dans l’islam, issu du judaïsme et beaucoup plus âgé, souligne dans ses livres que nous, Européens, devons en fait moins à un héritage judéo-chrétien qu’à un héritage gréco-abrahamique. Le christianisme, tel que nous le connaissons, a été plus influencé par la pensée hellénistique que par la pensée juive. Chrétiens, Juifs et Musulmans sont tous issus de la famille d’Abraham. Il y a là de grandes opportunités et la Bible rapporte quelques exemples réussis de coexistence.

En résumé, Fatima Ouassak insiste sur le fait que le système actuel à l’échelle mondiale (économique et politique), qui détruit l’environnement, produit non seulement les inégalités par sa violence, mais les maintient en place. C’est pourquoi il est important d’avoir une vision holistique des choses. Un engagement basé sur cette vision sera prophétique et fera bouger les choses.

Nouvel accent du FAPJ: Préservation de la création

Depuis ses débuts, le Forum anabaptiste pour la paix et la justice (FAPJ) s’est presque exclusivement occupé de préoccupations sociales et de politique de paix ou pacifistes. La destruction de la nature, la crise climatique, les thèmes liés au réchauffement ainsi que la biodiversité étaient rarement évoqués. Cela va maintenant changer.

Nous sommes heureux que le groupe de base du FAPJ s’élargisse et que cette thématique prenne ainsi une nouvelle ampleur. En janvier 2024, Marlène Eyer a expliqué pourquoi et de quelle manière elle s’engageait pour les thèmes du climat et de la création. Il est ressorti des différents entretiens que le groupe de base actuel sera élargi et que le climat, la création et la biodiversité seront ajoutés comme nouvelle priorité. Les thèmes actuels continueront à être traités et le rythme actuel des circulaires avec des informations, des annonces et des approfondissements sur nos thèmes sera maintenu. Après un an, nous ferons une rétrospective et évaluerons nos expériences. Certains membres de l’actuel groupe de base sont intéressés par une réduction de leur temps de travail ou par un retrait, en raison de leur âge. Beaucoup de choses dépendent donc de notre capacité à trouver de nouvelles forces, et surtout des forces plus jeunes, pour le FAPJ. Nous sommes sereins : Les institutions ne sont pas là pour se maintenir elles-même, mais pour servir une cause qui les dépasse. C’est dans cet esprit que nous faisons appel à celles et ceux qui s’intéressent aux thèmes du Forum et qui aimeraient contribuer à ce que les sujets pertinents pour nous tous soient abordés avec engagement, compétence et profondeur. Nous savons tous que le souci de la création , du climat et de la biodiversité est inséparable de la justice et de la paix.

Stopper les livraisons d’armes!

250 organisations humanitaires, dont le MCC et Eglise et Paix, ont signé un appel aux états membres des Nations-Unies de stopper les livraisons d’armes à Israël et aux groupes armés palestiniens. Ces livraisons nourrissent le conflit armé, disent-ils et cela doit s’arrêter.

Nous pouvons contribuer à la diffusion de cet appel en le partageant sur les réseaux sociaux avec le hashtag #StopSendingArms.

Voici le lien vers le ReliefWeb et l’appel (en anglais)

Confessions d’un mégalomaniaque

Par Uri Avnery, 21 janvier 2017

Le chauffeur de taxi arabe qui m’emmena à Ramallah n’eut pas de problèmes avec les postes frontière israéliens. Simplement il les contournait.
Cela évite bien des ennuis.


Cet article a été publié par AFPS. Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+


J’étais invité par Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité nationale palestinienne (ainsi que de l’OLP et du Fatah), à participer à des consultations palestiniennes-israéliennes avant la conférence internationale de Paris.

Comme Benjamin Nétanyahou a refusé de participer à l’événement de Paris à côté de Mahmoud Abbas, la réunion de Ramallah voulait démontrer qu’une grande partie de la société israélienne soutient l’initiative française.

SI SIMPLE que cela paraisse, la réunion de Ramallah n’était pas du tout simple.

Avant la mort de Yasser Arafat en 2004, de telles réunions étaient presque routinières. Depuis notre première rencontre révolutionnaire à Beyrouth en 1982, pendant le blocus israélien, Arafat rencontra beaucoup d’Israéliens.

Arafat jouissait d’une autorité morale presque absolue, et même ses rivaux nationaux acceptaient ses décisions. Aussi, après notre première rencontre, il estima que des rencontres israélo-palestiniennes servaient la cause de la paix entre les Palestiniens et les Israéliens, il encouragea beaucoup d’événements de ce genre.

Après son assassinat, la tendance opposée prit le dessus. Les extrémistes palestiniens considéraient que toutes les rencontres avec des Israéliens, quelles qu’elles soient, servaient le terrible épouvantail qu’était la ‟normalisation”.

Abbas a maintenant mis fin à cette aberration. Comme moi il croit que l’État palestinien et l’indépendance ne pourront venir que d’un combat commun des forces de paix des deux bords, avec l’aide de forces internationales.

C’est dans cet esprit qu’il nous a invités à Ramallah, puisque les Palestiniens ne sont pas normalement admis en territoire israélien.

Il m’a fait asseoir près de lui à la tribune et la rencontre a commencé.

MAHMOUD ABBAS – ou ‟Abou Mazen” comme on l’appelle généralement – eut l’amabilité de signaler, que lui et moi étions amis depuis 34 ans puisque nous nous étions rencontrés pour la première fois à Tunis, peu de temps après que l’OLP eut quitté Beyrouth pour y déménager.

Au fil de nombreuses années, lorsque mes amis et moi allions à Tunis, c’était la même procédure : nous rencontrions d’abord Abou Mazen, qui était chargé des questions israéliennes, pour élaborer des projets d’action commune. Puis nous passions dans le bureau d’Arafat. Arafat qui avait une aptitude remarquable à prendre des décisions rapides prenait en quelques minutes la décision de répondre par ‟oui” ou par ‟non”.

On pourrait difficilement trouver deux personnalités plus différentes que Abou Amar (Arafat) et Abou Mazen. Arafat était d’un caractère ‟chaleureux”. Il embrassait et faisait la bise à ses visiteurs, à la façon arabe traditionnelle – une bise sur chaque joue pour les visiteurs ordinaires, trois bises pour ses préférés. Au bout de cinq minutes, vous aviez l’impression de l’avoir toujours connu.

Mahmoud Abbas est une personne beaucoup plus réservée. Il embrasse et fait la bise aussi mais il ne le fait pas avec le même naturel qu’Arafat. Il est plus renfermé. Il ressemble davantage à un principal de lycée.

J’ai beaucoup de respect pour Mahmoud Abbas. Il lui faut un courage extraordinaire pour remplir sa tâche – le leader d’un peuple sous occupation militaire brutale, obligé de coopérer avec l’occupation dans certains domaines, s’efforçant de résister dans d’autres. Le but de son peuple est d’endurer pour survivre. Lui excelle à cela.

Comme je le félicitai pour son courage, il rit en disant qu’il était plus courageux de ma part d’entrer dans Beyrout pendant le siège de 1982. Merci.

Le gouvernement israélien a réussi, même avant Nétanyahou, à séparer les Palestiniens du pays en deux. En refusant simplement d’honorer leur engagement solennel, dans le cadre d’Oslo, de créer quatre ‟passages sécurisés” entre la Cisjordanie et Gaza, ils ont créé une division presque inévitable.

Maintenant, tout en traitant officiellement le modéré Abbas en ami et l’exrrémiste Hamas à Gaza en ennemi, notre gouvernement se comporte exactement à l’opposé. Le Hamas est toléré. Abbas est considéré comme un ennemi. Cela semble pervers mais c’est en fait tout à fait logique : Abbas peut influencer l’opinion publique mondiale en faveur d’un État palestinien, pas le Hamas.

APRÈS LA rencontre de Ramallah, en privé, j’ai soumis un projet à Abbas pour qu’il l’examine.

Il se fonde sur l’opinion que Nétanyahou ne sera jamais d’accord pour de vraies négociations de paix, puisqu’elles conduiraient inévitablement à la Solution à deux États, tut-tut-tut.

Je propose de réunir une ‟Conférence de paix populaire” qui se tiendrait, disons, une fois par mois dans le pays. Au cours de chaque session, la conférence traiterait d’un des paragraphes du futur accord de paix, comme le tracé final des frontières, le caractère des frontières (ouvertes ?), Jérusalem, Gaza, les ressources en eau, les dispositifs de sécurité, les réfugiés, et ainsi de suite.

Un nombre égal d’experts et de militants de chaque côté discuteraient, mettraient tout sur la table pour apporter une solution à tout. Si un accord pouvait être obtenu, merveilleux. Sinon, les propositions des deux parties seraient clairement exposées et la question remise à plus tard.

À la fin, après, disons, six mois, l’‟accord de paix populaire” final sera publié, même avec des points de désaccord, pour orienter les mouvements de la paix des deux bords. Des discussions sur les désaccords se poursuivront jusqu’à ce que l’on aboutisse à un accord.

Abbas écouta attentivement comme à son habitude et à la fin je promis de lui adresser une note écrite. C’est ce que j’ai fait, après avoir consulté quelques-uns de mes collègues, comme Adam Keller, le porte-parole de Gush Shalom.

Mahmoud Abbas se prépare actuellement à participer à la conférence de Paris, dont l’objectif principal est de mobiliser le monde pour la solution à deux États.

QUELQUEFOIS JE ME DEMANDE comment je ne suis pas pris de mégalomanie. (Certains de mes amis pensent que cela ne peut pas m’arriver, puisque je suis déjà mégalomaniaque.)

Quelques semaines après la fin de la guerre de 1948, un minuscule groupe de jeunes gens du nouvel État d’Israël se réunit à Haïfa pour discuter d’une voie vers la paix fondée sur ce que l’on appelle aujourd’hui la solution à deux États. L’un était juif (moi), un autre musulman et un troisième druze. Pour ma part, tout juste sorti de l’hôpital, je portais encore mon uniforme militaire.

Le groupe fut complètement ignoré de tout le monde. Personne n’était intéressé.

Quelque dix ans plus tard, alors que j’étais déjà membre de la Knesset (comme d’ailleurs les deux autres), je me suis rendu à l’étranger pour voir qui pouvait se laisser convaincre. Je parcourus Washington DC, rencontrai des gens importants à la Maison blanche, au Département d’État et au sein des délégations des Nations unies à New York. Sur le chemin du retour, je fus reçu aux ministères des Affaires étrangères à Londres, à Paris et à Berlin.

Aucun preneur, nulle part. Un État palestinien ? Absurde. Israël doit traiter avec l’Égypte, la Jordanie et autres.

Je fis des dizaines de discours à la Knesset sur cette proposition. Quelques puissances se mirent à la reprendre. La première fut l’Union soviétique, encore qu’assez tard, sous Leonid Brejnev (1969). D’autres ont suivi.

Aujourd’hui il n’y a plus personne pour croire à quelque chose d’autre que la solution à deux États. Même Nétanyahou prétend y croire, seulement si les Palestiniens devenaient juifs ou émigraient au Groenland.

Oui, je sais que ce n’est pas dû à moi. C’est dû à l’Histoire. Mais il faut m’excuser d’éprouver un tout petit peu d’orgueil. Ou une mini-mégalomanie.

LA SOLUTION À DEUX ÉTATS n’est ni bonne ni mauvaise. C’est la seule.

The only solution there is.
La seule solution qui existe.

Ie sais qu’il y a beaucoup de gens bien et même admirables qui croient à la soi-disant solution à un État. Je leur demanderais d’en voir les détails : à quoi ressemblerait-elle, comment fonctionnerait-elle réellement, l’armée, la police, l’économie, le parlement. Apartheid ? Guerre civile permanente ?

Non. Depuis 1948 tout a changé, mais rien n’a changé.

Désolé, la solution à deux États est encore la seule option possible.