Le silence des bons

Dietrich Bonhoeffer, dont on parle ces jours-ci sur les réseaux sociaux et au cinéma (« Bonhoeffer » aux USA et dès le 22 janvier en France), est surtout connu pour ses écrits depuis la prison. Lui qui ne s’est pas accordé au régime de Hitler dès ses débuts, et qui est rentré au pays malgré le danger, a été exécuté sur ordre personnel du Führer en avril 1945, peu avant que ce régime meurtrier ne s’effondre. Ses contacts avec un cercle qui avait projeté l’assassinat de Hitler ont donné au tyran une raison tangible de le tuer. Les biographes de Bonhoeffer sont formels: Dietrich Bonhoeffer avait eu un discours pacifiste et n’était pas un tueur de tyran.

Or ce que la droite évangélique-fondamentaliste aux USA cherche à faire croire, c’est que Bonhoeffer a bel et bien eu l’intention de tuer: l’affiche du film qui sortira ce 22 novembre dans les salles montre Bonhoeffer avec un pistolet dans la main. Le régisseur du film dit que cela n’était pas sa décision, mais le message est clair: Combattre par la violence les « démocrates nazi » qui menacent la grandeur de la nation est une vocation biblique, selon certains prédicateurs et autres acteurs de l’extrême-droite aux USA. (Courrier International, 21.11.24, voici la bande-annonce officielle du film « Bonhoeffer ».

Pour d’autres intéressés, Dietrich Bonhoeffer n’est pas le modèle dont beaucoup d’entre nous, des plus progressistes aux plus conservateurs, ont admiré le courage, la vision claire et la parole percutante. Il serait devenu, au cours de sa vie, un libéral de moins en moins fidèle au message évangélique. Il lui est reproché de ne plus être un chrétien évangélique, et surtout, d’être devenu universaliste, ce qui dans les yeux de l’auteur de l’article en question, lui ôte sa crédibilité. (l’article en anglais est disponible ici)

Ce qui se passe ces jours-ci autour de Bonhoeffer est symptomatique pour le temps que nous vivons actuellement: D’un coté, Bonhoeffer est récupéré par l’extrême-droite chrétienne, et de l’autre coté, on nous dit qu’il n’est peut-être pas digne d’être un modèle pour nous dans des temps troublés par le mensonge et la violence. Qui croire? Que faire?

Du coup, on est tenté de se méfier et de ne rien dire. Mais l’indifférence et la lâcheté sont les ennemis de la vérité de la justice et de la paix. Dietrich Bonhoeffer savait de quoi il parlait.

Il a longuement réfléchi au rôle de l’action et de la résistance dans un contexte d’oppression. Dans son ouvrage Éthique et dans ses lettres depuis la prison, il critique l’inaction des chrétiens et des gens moralement responsables face au mal. Dans une lettre de 1944, il écrit :

« Nous avons été des témoins silencieux des actions mauvaises ; nous avons appris l’art de la dissimulation et de la parole équivoque ; l’expérience nous a rendus méfiants envers les hommes et nous avons souvent gardé le silence face à la vérité et tout cela nous fait honte. »

Et Bonhoeffer dénonce le silence des chrétiens. Il écrit :

En fuyant la confrontation publique, un tel individu (qui garde le silence face au mal qui se déroule) trouve refuge dans une vertu privée. Il ne vole pas, il ne tue pas, il ne brise pas de mariage, il fait le bien dans la mesure de ses capacités. Mais en renonçant volontairement à la vie publique, il sait exactement respecter les limites permises qui le protègent du conflit. Ainsi, il doit fermer les yeux et les oreilles face à l’injustice qui l’entoure. Ce n’est qu’au prix d’une illusion personnelle qu’il peut préserver sa probité privée, en la gardant intacte face aux souillures qu’entraînerait une prise de responsabilité dans le monde. Pourtant, quoi qu’il fasse, ce qu’il s’abstient de faire ne cessera de le troubler. – Qui pourra persévérer?

Ailleurs, Bonhoeffer décrit la vie humaine comme étant « un espace de résonance, qui exige que l’on prenne des décisions de vie, aussi dans les défis politiques de nos jours. La vérité doit être faite!«